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Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 32

Femme tenant une liseuse
Image par Perfecto_Capucine de Pixabay

Christophe nous partage son avis sur deux romans : le dernier tome d'une oeuvre qu'il considère comme majeure et fondatrice, et un roman noir. Amélie et Chloé nous recommandent l'histoire d'Efi, jeune fille de 14 ans contrainte au mariage par ses parents. Nadira nous partage son avis sur un roman qui s'inspire d'un fait historique :  le placement de milliers d'enfants d'Italie du Sud au sortir de la Seconde Guerre mondiale dans des familles du Nord dans l'espoir d'une vie meilleure. Clémentine a apprécié deux lectures : tout d'abord  un livre qui, à partir de l'expérience de l'auteur concernant le pistage du loup, s'interroge avec philosophie sur la crise écologique et enfin, un roman de science-fiction qui suit les questionnements d'une jeune femme enceinte.  Pauline s'est sentie proche de cette jeune fille née sans bras et absolument pas démunie.

 

Fin de combat - Prix Médicis Essai 2020 / Karl Ove Knausgaard

Fin de combatPar

K.O.K. en stock

Avec Fin de combat, Karl Ove Knausgaard clôt son cycle introspectif titanesque. Tout a été dit à propos de la somme : poids (0,005 tonne), nombre de pages (pas loin de 5 000), nombre de volumes (6), phénomène éditorial en Norvège à la limite du voyeurisme et des rubriques judiciaires. Un truc dingue.

Mon combat (hou là là, la référence casse-gueule…) est une chronique intense à la fois clinique, digressive et impudique. Karl Ove Knausgaard y dissèque à travers sa propre expérience les épreuves initiatiques d’un homme occidental moyen dans la Norvège post-Trente Glorieuses : l’enfance, l’amour, le couple ou encore la paternité.

Chaque livre aura sa matière dominante, sans attention chronologique particulière. Les cinq premiers tomes pourraient d’ailleurs se lire dans le désordre ; Fin de combat, le sixième et dernier, étant l’aboutissement logique. Le puzzle se construit alors au fur et à mesure avec pour fil rouge un tantinet freudien le lien pernicieux qui unit le petit Karl-Ove, continuellement sensible ou arrogant, à son père alcoolique et nuisible.

C’est aussi l’occasion permanente pour l’auteur de questionner ce qui semble faire florès dans la littérature contemporaine : à savoir la place du "je" dans l’écriture, sa singularité et son honnêteté exigées. Et ce sera loin d’être simple.

Tenez, jouons un peu : imaginez-vous écrire le plus honnêtement possible sur votre vie, celle de votre conjoint(e) et vos enfants, vos parents, oncles et tantes, papys-mamies. Il est alors fort probable que ces derniers aient gardé des souvenirs tout à fait différents des vôtres. Alors quand l’affaire est éditée à plusieurs millions d’exemplaires, lue dans tout un pays puis dans le monde entier, ça coince possiblement.

Knausgaard l’a appris à ses dépens. S’ensuivirent des menaces de procès, des diffamations, et puis le doute. Celui de l’auteur. Et là, ça devient violent et vertigineux.

Me concernant, cette œuvre est LA découverte littéraire contemporaine majeure de ces dernières années. Je l’ai lue et relue, ce qui ne m’arrive quasiment jamais. C’est une lecture fondatrice, c’est un auteur-frangin. Avec ses qualités immenses et ses innombrables défauts. Oui, je sais, je finis un peu en mode boy-scout. Je suis un grand sentimental, pardonnez-moi.

 

Avertissement : A la page 475 de Fin de combat, Karl Ove Knausgaard intègre brusquement, sans crier gare, une sorte d’essai de 600 pages (!) sur Hitler intitulé Le nom et le nombre. Soyons francs : cela n’a (quasiment) aucun intérêt pour la compréhension de l’œuvre. Je suis certain que personne ne l’a lu en entier (j’ai sauté 150 pages). L’auteur lui-même ne s’en souvient plus aujourd’hui, c’est dire ! Bref, contentez-vous des 800 pages restantes…

Titres :

  • Mon combat I : La mort d’un père
  • Mon combat II : un homme amoureux
  • Mon combat III : Jeune homme
  • Mon combat IV : Aux confins du monde
  • Mon combat V : Comme il pleut sur la ville
  • Mon combat VI : Fin de combat

Cimetière d'étoiles / Richard Morgiève

Cimetière d'étoilesPar Christophe, bibliothèque de Varces

J'aime pas les polars

1963, El Paso, Texas. Les lieutenants Rollie Fletcher et Will Drake sont chargés d’enquêter sur la mort d’un Marine, ancien tireur d’élite. Balle dans la nuque, quelques morpions. Cadavre banal ? Ah, quelques bubons aussi. Tiens donc.

De chaque côté de la frontière, les deux flics vont s’appliquer à perfectionner leur brasse coulée. Ils maîtrisent plutôt bien. Mais l’ambiance ne fait pas rêver : assassinats, stupre et paranoïa semblent téléguidés depuis des sphères inaccessibles au premier paroissien venu. 1963, ce ne serait pas l’année Kennedy des fois ?

Richard Morgiève sidère : il se réapproprie le genre ultra éculé du polar pour, dit-il, "tempêter contre la bien-pensance" et ces bouquins où "les héros […] ne bandent pas". Le résultat est génial, sans issue et souvent très drôle.

Traversé par un entrelacs d’histoires toutes plus infectes ou sublimes les unes que les autres, Cimetière d’étoiles ressemble à un vortex de bidet sous effet Coriolis, une fois la bonde retirée : Rollie Fletcher et Will Drake rament comme ils peuvent. Voyez comme ils sont beaux ces deux "salauds", ces deux "saints", à faire en sorte que l’inexorable soit aussi douloureux pour les "cons et les lugubres" que le plus supportable possible pour les autres.

Morgiève, en auteur modeste et respectueux du genre, a l’allure et la verve des plus grands : il réveille Ellroy et David Peace, tout en réussissant la quadrature du cercle : connecter la vilénie d’un Harry Crews et l’humanité d’un James Sallis. Quel Panthéon.

Une lecture âpre qui redonne une foi inespérée dans le roman noir.

J'ai 14 ans et ce n'est pas une bonne nouvelle / Jo Witek

J'ai 14 ansPar Amélie, bibliothèque de Vif

12 millions de trop

Efi vient d'avoir 14 ans. L'année scolaire se termine, elle rentre au village. Mais elle sent des changements : la froideur de son oncle et de son frère aîné, la distance de ses parents. Quand sa mère lui dit qu'elle est nubile, Efi ne comprend pas ("Un joli mot pour un mauvais présage", p.34). Ce sont ses amies, Bo et Alvina qui vont lui révéler ce qu'elle ne voulait voir : ses parents ont pour projet de la marier contre son gré. Parce que sa mère attend leur 7e enfant et que son père ne peut pas subvenir aux besoins de tout le monde, Efi doit se marier et quitter le foyer. Un choc pour cette jeune fille qui pensait échapper à ce triste sort pendant encore quelques années, voire que ses parents ne l'y forceraient jamais, ayant la chance de s'instruire, ce qui n'est pas le cas de toutes les filles du village.

Efi est instruite, elle sait que des ONG existent pour aider les jeunes filles dans sa situation, elle a appris par cœur le numéro de téléphone de l'une d'elles et lorsque la possibilité s'offre à elle de la contacter, elle n'hésite pas un instant. À sa surprise, elle trouvera également de l'aide auprès d'un membre de sa famille qui comme elle, subit le poids des traditions.

Jo Witek signe un livre poignant, nécessaire sur les mariages forcés, encore bien trop nombreux. Elle décrit la détresse d'Efi qui subit la décision de ses parents, se sent comme du bétail qu'on vend à la foire, qui étouffe sous les autres femmes qui la préparent pour le mariage, dépossédée de son corps.

 

Par Chloé C., bibliothèque d'Echirolles

Un combat pour la liberté

Efi a quatorze ans. Comme tous les étés, elle quitte la ville dans laquelle elle étudie au collège pour rejoindre son village à l’occasion des grandes vacances. Sauf que cette année, le regard de sa famille et des villageois a changé : elle n’est plus une petite fille, mais une nubile, c’est-à-dire une femme bonne à marier. D’ailleurs, son père a déjà prévu son mariage avec un homme de quinze ans de plus qu’elle. Efi, qui souhaite plus que tout poursuivre ses études et gagner son indépendance, se refuse à cette union forcée. Elle échafaude donc un plan d’évasion qui sonnera son salut, ou sa perte.

À travers J’ai 14 ans et ce n’est pas une bonne nouvelle, Jo Witek nous livre un plaidoyer pour toutes les jeunes filles victimes du mariage forcé, via le personnage d’Efi. Cette dernière est différente des autres filles de son village : grâce au soutien de sa mère, elle est la seule qui a pu poursuivre ses études. Curieuse, vive d’esprit, bricoleuse et débrouillarde, elle ne correspond pas à ce que les adultes attendent d’elle. Son attitude dérange, mais c’est ce qui va lui permettre de comprendre la violence de sa situation.

L’action se déroule à travers ses yeux, et nous ressentons parfaitement son incompréhension, sa tristesse et sa colère. Son rêve de devenir ingénieure est réduit à néant en quelques instants et personne ne semble se soucier du fait que son corps soit marchandé contre un statut social et des biens matériels. Malgré son destin qui s’annonce très sombre, son chemin est parsemé de lueurs d’espoir qui lui redonnent du courage, mais qui nous rassurent aussi en tant que lecteur. Elles sont nombreuses et essentielles, qu’il s’agisse de la chèvre Petite Fleur, sa professeure Mme Gazeta, les poèmes d’Emily Dickinson ou encore un allié inattendu.

Nous ne pouvons que nous sentir concernés par cette histoire universelle qui touche douze millions de jeunes filles dans le monde.

Encore une fois, Jo Witek réussi à traiter avec brio des sujets aussi sensibles que le mariage forcé et les violences faites aux femmes, et mérite largement le prix qu’elle a remporté, à savoir le Prix Babelio Jeunesse 2021.

Manières d'être vivant / Baptiste Morizot

Manières d'être vivantPar Clémentine, bibliothèque des Relais lecture de Grenoble

Fin du moi, faim du monde

 Baptiste Morizot part de son expérience de terrain - le pistage du loup - pour philosopher sur la crise écologique, qu’il traduit comme crise de nos relations au vivant. Pour un peu qu’on aime se promener en montagne et en forêt, le livre parle à notre expérience sensible, avec beaucoup d’élégance.

Baptiste Morizot interroge nos mythes, explore d’autres cultures avec un autre rapport au vivant, nourrit sa réflexion avec la pensée de Gilles Deleuze, Spinoza, Philippe Descola… On voyage dans les alpages et dans les idées. Chaque chapitre est structuré en sous–chapitres pour une pensée claire et bien articulée.

J’ai trouvé l’ouvrage accessible et sa lecture aussi riche qu’enthousiasmante !

L'Enfant de la prochaine aurore / Louise Erdrich

L'Enfant de la prochaine aurorePar Clémentine, bibliothèque des Relais lecture de Grenoble

En fuite

Cedar, 26 ans, attend son premier enfant. Le passé et l’avenir sont plein d’incertitudes. Qui sont ses propres parents biologiques ? Comment doit-elle s’organiser pour parer aux pénuries à venir ? Peut-elle annoncer à ses parents adoptifs qu’elle est enceinte ? Comment peut-elle échapper à la traque dont elle fait l’objet ? La période est troublée, le monde qu'elle connait touche à sa fin. Pourtant elle se réjouit de porter cet enfant. Cedar s'adresse, mois après mois, à l’être qui se développe en elle et nous suivons, grâce à son journal, les événements doux, haletants, inquiétants et pénibles qui agitent sa grossesse. Paru en 2017 aux États-Unis, la période actuelle semble propice pour découvrir la traduction de ce roman, arrivée en 2021 en France.

D’une part, j’ai découvert la superbe écriture de Louise Erdrich, d’autre part, j’ai trouvé que ce récit de science-fiction avait une saveur toute particulière dans le contexte qui est le nôtre…

L'Anguille / Valentine Goby

L'AnguillePar Pauline, bibliothèque Centre-Ville de Grenoble

Des choses en commun

Rien en commun, vraiment ? Voyons voir : Camille n’a pas de bras, pas du tout, pas même d’épaule, elle est née comme ça. Halis, lui, est obèse, fils d’immigrés turcs et il adore la couture. Dis comme ça, on pourrait croire que ce livre n’aurait pas lieu d’être. Et pourtant ! Camille est solaire et aventureuse ; Halis, plutôt mal dans sa peau. Quand Camille arrive au collège, Halis se dit qu’ils peuvent se comprendre, entre personnes "en situation de handicap" (essayez de monter plusieurs étages avec des kilos supplémentaires) et que lui peut l’aider à s’intégrer. Mais Camille n’est finalement pas si démunie et quand elle s’élance dans l’eau au cours de piscine, tout le monde reste bouche bée…

N’hésitez pas à fondre pour ce court roman adolescent d’un optimisme contagieux, dans lequel le regard des autres n’est finalement pas si cruel, et où n’importe qui peut être accro à une série de mangas. On est nombreux à avoir des choses en commun, si l'on y regarde bien...