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Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 3

Image par Perfecto_Capucine de Pixabay

Retrouvez cette semaine les nouvelles recommandations de lecture des bibliothécaires des communes de la métropole...

 

Catherine partage sa découverte de trois histoires : celle de trois adolescents dans les Chambaran, celle d'une femme mariée à un espion et celle de Jules Poisson, botaniste français du 19ème siècle. Béatrice nous invite à lire deux livres de Sylvain Tesson, l'un pour partir à la recherche de la panthère des neiges et l'autre pour se promener à travers la France. Et enfin, Agathie s'est plongée avec délice dans une histoire traitant de sujets graves traités avec humour.

 

Pour Luky / Aurélien Delsaux

Pour LukyPar Catherine, bibliothèque du Centre-Ville de Grenoble

Etre dernier

Ils ont quinze ans, vivent aux Renarts, une cité à la périphérie d’une petite ville, nichée dans les Chambaran, peu desservie par les transports et manquant de distractions. C’est les vacances d’été. Luky, Abdoul et Diego passent leurs journées ensemble, cherchant à tuer le temps en attendant d’entrer au lycée. Ils sont dans un entre-deux, entre enfance et âge adulte. La période où l’on attend d’eux qu’ils choisissent un métier, fassent des projets pour le futur. Mais comment s’imaginer un avenir quand le monde va mal, quand le lieu où vous vivez semble végéter ?

Luky ne sait que répondre quand on lui demande ce qu’il veut faire plus tard, alors il dit "éboueur", ou même "dernier". Les cours lui pèsent, l’indiffèrent ; il rêve d’autre chose sans très bien savoir de quoi. Il entend aussi des voix, a son monde à lui, en lui. Son copain Diego, lui, ne s’intéresse qu’aux filles. Des trois, le seul à entrevoir un chemin, c’est Abdoul, qui a découvert le théâtre et la littérature, et qu’épaule son professeur de français.

L’Isérois Aurélien Delsaux a été professeur et il a probablement côtoyé Luky, Diego et Abdoul. On sent la tendresse qu’il a pour ses personnages dont il a su rendre le parlé sans tomber dans la caricature. Tout comme Sangliers, son précédent roman, Pour Luky est ancré dans un lieu minutieusement décrit qui a toute son importance.

Loin d’être sombre, Pour Luky offre des moments d’humour, de poésie, d’insouciance retrouvée par un trio qui n’a pas encore totalement quitté l’enfance et la chaleur de l’amitié.

Berta Isla / Javier Marías

Berta Isla Par Catherine, bibliothèque du Centre-Ville de Grenoble

L’envers d’une vie d’espion

Depuis l’adolescence, Berta et Tom sont sûrs d’être faits l’un pour l’autre. Mais Tom, étudiant brillant, doué pour les langues étrangères, ne veut pas être qu’un figurant ; il veut agir sur le monde. Un évènement se produit pendant ses études à Oxford qui le contraint à devenir un espion britannique, sous couvert d’un poste diplomatique. Commence alors pour lui une double vie dont Berta ignore presque tout. Il part plusieurs mois pour effectuer des missions secrètes, sans qu’elle sache où ni quand il reviendra, leur vie de famille se limitant à une courte parenthèse entre deux missions.

Au fil des ans, elle va donc élever seule leurs deux enfants, constamment dans l’attente de son retour, ou de ses nouvelles, sans même savoir s’il est toujours vivant, se retrouvant même menacée sans savoir pourquoi.

Loin de James Bond et consorts, le grand auteur espagnol Javier Marias, ne nous raconte pas des missions d’espionnage aux multiples rebondissements, mais continue à interroger la notion de couple. Il fait le très beau portrait d’une femme dont l’existence est en suspens, qui attend, qui vit par intermittence avec son conjoint qu’elle peine parfois à reconnaître quand il rentre après des mois d’absence. Elle ne peut qu’imaginer la (double) vie qu’il mène ailleurs, dans la peau d’un autre, les gens dont il gagne la confiance pour les trahir ensuite. Un homme bien loin de celui qu’elle aime. Quant à Tom, il a autant d’identités que de vies différentes et court le risque de ne plus savoir qui il est vraiment. Comment rester lui-même quand, comme un acteur, il doit incarner des personnages différents, des avatars, à seule fin de mener à bien ce qu’on lui a ordonné de faire "pour le bien de tous".

Truffé de références littéraires, cet ample roman évoque aussi le temps qui passe et les illusions qui s’effilochent.

Mon ancêtre Poisson / Christine Montalbetti

Mon ancêtre PoissonPar Catherine, bibliothèque du Centre-Ville de Grenoble

L’hypothèse de ses jours

Dans la famille de Christine Montalbetti, on raconte volontiers l’histoire de son arrière-grand-père, Jules Poisson. Né en 1833, il a traversé le XIXe siècle jusqu’à la fin de la Première Guerre Mondiale. Entré tout jeune au Jardin des Plantes à Paris, il est devenu un botaniste renommé. Parti herboriser en Corse, il a rencontré Sophie qu’il a ramenée avec lui à la capitale. Ils ont eu un fils, perdu et retrouvé plusieurs fois. L’auteure a fait des recherches pour compléter ce roman familial, ajoutant aux faits avérés trouvés dans des archives personnelles et des articles, d’autres petits romans issus de son imagination pour combler les lacunes de l’histoire de son ancêtre. Elle a notamment essayé d’imaginer comment Jules avait vécu les grands événements de son époque (la Commune, la tempête de 1896 à Paris, les guerres).

Au fil de ses romans, Christine Montalbetti s’est glissée dans divers genres littéraires : épopée dans L’origine de l’homme, western dans Western, fait divers dans Trouville Casino, tous publiés chez POL. Elle n’a pas fait exception avec Mon ancêtre Poisson, récit de filiation. S’adressant à Jules, elle y mêle des souvenirs d’enfance vécus, le regret de ceux qu’elle aurait pu avoir si elle avait côtoyé son ancêtre et la relation imaginaire entre elle adulte et Jules très âgé. Elle mentionne aussi souvent Sophie, « ma-grand-mère-ta-petite-fille », ce relais entre elle et lui puisqu’elle est celle sur laquelle tous deux ont posé leurs yeux.

Si la narratrice parvient à établir un lien, un dialogue, avec cet arrière-grand-père qu’elle n’a pas connu, c’est bien grâce à l’écriture qui abolit le temps et leur permet de coexister au moins au cœur de ce récit.

La panthère des neiges / Sylvain Tesson

La panthère des neigesPar Béatrice, bibliothèque municipale internationale de Grenoble
Précieuse panthère

Sylvain Tesson, écrivain baroudeur, est invité au Tibet par Vincent Munier, photographe animalier, sur les traces de la panthère des neiges.

Ce voyage silencieux devient pour l'auteur fougueux l'occasion de se confronter à l'art de l'attente. Particulièrement intéressant à lire ou relire en cette période où l'attente des jours meilleurs nous hante, ce récit aux aphorismes ironiques sur notre monde mais aussi plein de sagesse est une ôde au silence et à la patience.

En 1978, l'écrivain Peter Matthiessen, était lui aussi parti à la recherche de cet animal mythique. "Le léopard des neiges" est devenu un livre culte pour de nombreux écrivains voyageurs. Si Sylvain Tesson mêle la quête spirituelle de Matthiessen, à celle de son récit personnel, c'est pour mieux évoquer la disparition de sa mère, un ancien amour mais aussi l'effondrement annoncé de notre civilisation.

Sur les chemins noirs / Sylvain Tesson

Sur les chemins noirs Par Béatrice, bibliothèque municipale internationale de Grenoble

Balade déconnectée

Après une accident de parcours, Sylvain Tesson, éternel baroudeur, envoie balader  le conseil de repos de son kiné et décide de "se réparer" en traversant la France du Mercantour au Cotentin, en suivant les chemins noirs. Ces petits traits des cartes IGN difficiles à suivre et à repérer vont être ses seuls guides pendant toute la durée de son périple.

Histoire d'une réparation, d'une guérison par la marche mais aussi comme d'habitude avec l'écrivain, l'occasion d'évoquer d'autres voyages au long cours, de faire appel à d'autres auteurs pour étayer son propos.

En ces temps de confinement, cette lecture a la saveur d'un fruit défendu mais elle peut aussi nous aider à regarder avec d'autres yeux notre quartier lors de nos petits "déplacements dérogatoires"!

"Il m'aura fallut parcourir le monde et tomber d'un toit pour saisir que je disposais là sous mes yeux, dans un pays si proche dont j'ignorais les replis, d'un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baigné de pur silence, miraculeusement vides."

Chimère / Emmanuelle Pireyre

ChimèrePar Agathie, bibliothèque Alliance de Grenoble

Sujets sensibles sous humour décalé

Emmanuelle, écrivaine, accepte de rédiger un article pour un quotidien national. Un peu par hasard, elle choisit le thème des OGM. Mais son enquête l'amène à rencontrer divers personnages loufoques, qui l'entraînent, ainsi que le lecteur, sur d'autres questions de société : une biologiste cherchant à concevoir une chimère homme-chien, un panel hétéroclite de citoyens tirés au sort par l'Union Européenne pour réfléchir sur un thème (les Français récupérant le sujet "temps libre" !), une manouche cherchant à sauver les "gadjé" ...

Entre manipulations génétiques, nanotechnologies, parodie de la démocratie participative à l'échelle de l'Europe et mise en valeur du "ne rien faire du tout"... j'avais un peu peur avant de lire ce roman devant la quantité des sujets abordés, mais tout s'imbrique très bien.

Emmanuelle Pireyre a publié plusieurs romans dont "Féerie générale" en 2012 qui a obtenu le prix Médicis. Elle utilise l'humour pour s'intéresser à des thématiques sérieuses.

Chimère est un récit foisonnant et documenté, touchant des sujets graves et sensibles de notre époque. Mais la légèreté et l'humour en font une comédie réjouissante. En tout cas, j'ai beaucoup ri pendant cette lecture. Ça fait du bien !

 

Visuel : Image par Perfecto_Capucine de Pixabay