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Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 28

Femme tenant une liseuse
Image par Perfecto_Capucine de Pixabay

Anne a aimé ce roman où adolescents et personnes âgés voient leurs vies se croiser à la suite d'une agression. Christophe nous partage son avis sur un livre singulier, déstabilisant et pourtant réconfortant. Soumia nous partage deux lectures : un roman qui fait la part belle aux découvertes liées au hasard et l'histoire de ces femmes contraintes à la prostitution en République du Congo. Anabelle a aimé ce roman d'aventure dystopique et féministe. Amélie nous partage son enthousiasme pour ces quatre adolescents, qui, grâce à leur professeure de français vont apprendre à s'exprimer avec assurance, jusqu'à participer à un concours d'éloquence.

 

Le Gang des Vieux Schnocks / Florence Thinard

Le Gang des Vieux SchnocksPar Anne, bibliothèque d'Echirolles

Délinquants... aux cheveux blancs !

Lorsque Jules, ado à capuche, agresse une vieille dame et lui vole son sac à main, il n’imagine pas qu’il va bouleverser le cours de sa vie, celui de Gisèle, Victor, Papi Ferraille et Rose-Aimée. Cette bande de vieux réunis autour de la victime et de son agresseur fera preuve d’une créativité sans faille de redresseurs de torts avec une spéciale dédicace pour le vigile sadique du supermarché.

Entre drôlerie jubilatoire et larmes, ce roman porte un regard tendre et optimiste mais également critique sur une société de consommation dans laquelle adolescents et personnes âgées, s’ils ne trouvent pas toujours leur place, peuvent toutefois faire des bêtises, transgresser et s’engager, faire preuve de solidarité et surtout de beaucoup d’humanité.

Ce monde est tellement beau / Sébastien Lapaque

Ce monde est tellement beau Par Christophe, bibliothèque de Varces

Ma vie de réac

Lazare, prof d’histoire-géographie dans un lycée parisien, n’a pas la quarantaine joyeuse. Et je parle de son âge, pas de confinement. Si le narrateur invite son lecteur dès les premières pages à prendre une conscience appuyée de la renversante beauté du monde (c’est bien le titre du livre), sa lucidité amère ne manque pas de le laisser ahuri par la platitude, l’inélégance, pour ne pas dire la vulgarité de notre époque ("L’immonde").

Béatrice, sa chère et tendre, est partie se reposer chez ses parents. Vraisemblablement pour un bon moment. Elle ne donne plus de nouvelles. Cela n’arrange rien.

Heureusement il y a Lucie, la voisine aussi curieuse des oiseaux que d’Othello. Jolie, aussi, il faut bien le dire. Et ses amis. Saint-Roy, Walter, Denis, Bruno, toute une troupe que l’on pourra qualifier d’anars de droite, un peu dandys et réacs, mais tous aussi sincèrement désireux que Lazare d’un monde plus beau, plus serein, plus valeureux. Un monde passé, oui.

A la mort de Saint-Roy, Lazare touche le fond. Walter l’envoie chez son frangin, qui bûcheronne près de Crozon. Il y cherchera le sens. Comme on dit.

Sébastien Lapaque n’a pas le cynisme d’un Houellebecq, mais le constat social est au moins aussi brutal. Et avoir le cran de faire toucher du doigt la résilience à son prof dépressif par la foi (catholique en l’occurrence, mais qu’importe) c’est culotté !

Nous vivons des temps bien singuliers. Aujourd’hui, qui est réac ? Qui est réfractaire ? Anticonformiste ou tradi ? Sale jeune ou vieux c. ? Une chatte n’y retrouverait pas ses petits ! Alors Sébastien Lapaque, compatissant, se prend pour le Christ et sauve son héros mal en point : "Lazare, sors dehors" (Jean 11:1–44, merci Wikipédia). Résurrection.

S’il n’échappe pas à quelques raccourcis un peu trop évidents, Ce monde est tellement beau est un roman salutaire et singulier, à l’image de son auteur. L’écriture est belle, le propos est érudit, un poil déstabilisant mais plutôt réconfortant.

Laissons un moment nos certitudes de côté, la nuance redevient tendance. Sébastien Lapaque y contribue. Cela fait un bien fou.

Comédies françaises - Prix Les Inrockuptibles Roman français 2020 / Éric Reinhardt

Comédies françaisesPar Soumia, bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble

Les turpitudes du hasard

Comédies françaises est un roman singulier, riche et dense qui articule plusieurs niveaux de récits. Le fil conducteur de la narration est l’histoire de Dimitri, jeune homme de 27 ans, brillant, rêveur, idéaliste , sans cesse animé par son désir et porté par ses intuitions. Ebloui par une jeune femme rencontré à Madrid et que le hasard remettra sur son chemin à plusieurs reprises, il sera tout au long du livre habité par le désir ardent de la retrouver. Epris de liberté, Dimitri refuse les études et le chemin tracé par ses parents, aimerait faire une carrière dans le théâtre, mais finalement devient journaliste.

C’est cette activité d’enquêteur qui lui fait découvrir la vérité sur les origines d’internet, dont la paternité revient en réalité aux Français, et en particulier à l’ingéniosité de Louis Pousin inventeur du datagramme. Il nous montre, preuve à l’appui, comment la collusion économico politique à la française n’a pas su reconnaitre cette technologie, mais qu’à l’inverse les américains ont su pleinement faire fructifier. Le hasard et l’aveuglement collectif ont fait perdre à la France son avance dans ce domaine au profit des Etats-Unis, qui devient dans ces années le nouveau centre de gravité du progrès technique, culturel et artistique.

Selon Dimitri, le même phénomène opère dans le milieu de l’art abstrait. Car outre ses trouvailles de journaliste, il s’intéresse aussi à la peinture sur lequel il voudrait écrire un livre. C’est ainsi qu’il nous raconte comment à son insu, Max Ernst a transmis à Jackson Pollock la méthode du drypping, faisant de l’Amérique l’épicentre de l’avant-garde artistique, mettant fin au foisonnement créatif de l’Europe. Un scénario qui se répète, n’est-ce pas !

Ce roman interroge la destinée humaine et ses bifurcations, le point de bascule et l’inversion des trajectoires.

Un très beau livre à la plume alerte, drôle et sarcastique qui réussit la prouesse d’emboiter plusieurs romans dans un roman, alliant fiction et réalité pour questionner l’instant décisif du hasard et du point de bascule à l’échelle de la vie individuelle et à celles des nations.

L'âge de la première passe / Arno Bertina

L'âge de la première passePar Soumia, bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble

Rien que le corps pour subsister

 Comme l’indique le titre, c’est de prostitution dont il est question dans ce livre, mais de bien d’autres choses aussi. A l’invitation d’une petite ONG, ASI, Arno Bertina se rend à plusieurs reprises au Congo Brazzaville pour animer des ateliers d’écriture auprès de prostituées mineures, recueillies et prises en charge par cette structure.

Il relate son expérience, ses rencontres avec ces jeunes filles, insère dans son récit les textes de certaines d’entre-elles, entremêle à leur vécu ses réflexions sur le monde et questionne les enjeux de l’identité. Le parcours de ces très jeunes filles raconte l’abandon, la misère, la violence, la relégation dans les marges sordides de la société. Une société autocratique, inégalitaire, corrompue jusqu’à l’os qui ne fait aucun cas de ses habitants, les condamnant pour la plupart à une misère crasse, obligeant certains à abandonner leurs enfants ou à les livrer à la prostitution.

Plus que de prostitution et de violence, c’est d’ailleurs surtout d’abandon dont parlent ces jeunes filles, de cette souffrance indélébile dont on ne guérit pas, et qui conditionne sa vie durant sa légitimité et son droit à être. Un des thèmes particulièrement intéressant de mon point de vue, est la réflexion de l’auteur sur la langue : comment à travers l’échange et l’observation des jeunes filles, Bertina constate combien le français charrie toujours les traces du colonialisme et de la domination. Lorsque ces congolaises s’expriment en français, elles le font avec affectation et timidité, là où dans leur langue maternelle, elles engagent leur corps et leurs émotions. Par la verbalisation et l’écriture, Bertina fait sortir ces jeunes filles de l’obscurité, rend audible leur parole, rehausse leur dignité, les hisse grâce à la littérature au rang de sujet.

Malgré la noirceur de leur condition, elles dégagent une énergie vitale, une fougue propre à la jeunesse que le récit de Bertina a su faire résonner. Un bel hommage à la vie !

Un beau livre où l’expérience de l’altérité radicale modifie le regard et ébranle les fondations de l’identité.

L'Année de Grâce / Kim Liggett

L'année de Grâce

Par Anabelle, bibliothèque de Fontaine

Un roman ado captivant !

L’année de Grâce est avant tout, un roman d’aventure dystopique et féministe. Il vous plongera dans les sentiments humains les plus sombres à travers son héroïne de 16 ans qui remet en question la société dans laquelle les femmes sont complètement bridées. Nous avons aimé ce roman captivant et plein de surprises qui mêle action, suspense mais aussi une très belle symbolique des fleurs.

Au final cette fiction s'achève sur une note d'espoir portée par une sororité qui se révélera puissante.

Demandez-leur la lune / Isabelle Pandazopoulos

Demandez-leur la lunePar Amélie, bibliothèque de Vif

Trouver les mots

 Lilou, Samantha et Bastien sont lycéens, en décrochage scolaire. Farouk est clandestin. Ils sont réunis par Agathe Fortin, professeure de français, dans un cours de mise à niveau. Un cours pas comme les autres, qui les bouscule et va leur apprendre à prendre leur place, à s’exprimer avec assurance. Et leur professeure est ambitieuse : ils participeront à un concours d’éloquence.

Grâce à cet enseignement, ils s’affirment, osent tenir tête à des adultes qui jusque-là décidaient pour eux, ne les croyant pas capables de grand-chose. Des liens se tissent entre eux, qui les aident aussi à avancer, à trouver la force.

Un roman touchant sur la prise de parole qui aborde également la différence (les cours non conventionnels d’Agathe Fortin ne plaisent pas au proviseur du lycée et à certains parents), l’entraide et le poids des mots (les rumeurs autour de la mère de Samantha, de la famille de Lilou, les mots qui ont servi à faire basculer le frère de Lilou dans l’impensable).

Je l’ai dévoré, je l’ai trouvé très bien écrit, bien rythmé. Et optimiste.

Et je ne peux terminer cet avis sans évoquer la couverture du roman qui rappelle celle du mythique album Blood Sugar Sex Magik des Red Hot Chili Peppers (1991, ça ne nous rajeunit pas ! Et si vous ne devez écouter qu’un titre : Under the bridge) et l’histoire qui rappelle Sister Act II (1993) avec la très belle voix de Lauryn Hill (membre des Fugees, et leur célèbre Killing me softly with his song).