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Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 25

Femme tenant une liseuse
Image par Perfecto_Capucine de Pixabay

Pauline a été sonnée par un roman d'apprentissage social. Amélie a été touchée par ce père et ce fils adolescent qui apprennent à communiquer de nouveau ensemble. Prisca a été séduite par ce polar israélien mettant en scène un trio d'héroïnes. Estelle a été conquise par un roman d'aventures qui débute dans les années trente. Soumia nous partage son avis sur deux livres, un documentaire et un roman, traitant des enjeux de la crise environnementale.

 

Il est des hommes qui se perdront toujours / Rebecca Lighieri

Il est des hommes qui se perdront toujoursPar Pauline, bibliothèque Centre-Ville de Grenoble

Bloqué au sous-sol

Roman coup de poing, à la fois roman social, roman noir, roman des cités, des laissés pour compte, des outsiders. Roman étourdissant, cru, traversé par la musique et le désir, celui des corps et celui des têtes.

Karel, Hendricka et Mohand : une fratrie, trois visages d’enfants des quartiers. Nous sommes dans les quartiers nord de Marseille, des années 80 aux années 2000. Les deux aînés sont d’une beauté à couper le souffle, mais voilà, même beau, on n’échappe pas si facilement à sa condition sociale, et encore moins à son héritage familial. Surtout quand celui-ci s’exprime en torgnoles et insultes quotidiennes de la part d’un père toxicomane. Heureusement, la communauté de gitans qui n’habite pas loin leur permet une respiration. Mais un jour, leur père est retrouvé mort : qui l’a tué ? Et comme chez Agatha Christie, les coupables potentiels sont nombreux…

Comment faire, quand on a tiré les mauvaises cartes ? Quand la vie semble foutue, dès le début ? Quand, comme le disait Jamel Debbouze, "l’ascenseur social est bloqué au sous-sol et pue la pisse" ? On s’accroche à son désir de survivre, on se débat, on se démène ; même si quelque chose reste cassé tout au fond de soi.

Un magnifique roman d’apprentissage, traversé par le désespoir et la solitude, tenaces, et rythmé par une bande-son d’époque, pleine de bruit et de fureur.

Mon père des montagnes / Madeline Roth

Mon père des montagnesPar Amélie, bibliothèque municipale de Vif
Le silence de la montagne pour se retrouver...

Lucas, 16 ans, et son père sont comme des étrangers. Le seul lien qui les unie est Anna. C'est elle qui a eu l'idée d'une semaine tous les deux dans le chalet qu'ils possèdent, perdu en pleine montagne. Rien qu'eux deux, isolés de tout le reste. Idée saugrenue pour les deux hommes. Au départ. Car les jours passent et ils apprennent à s'apprécier, se découvrent. Et se parlent.

Les personnages sont touchants : Lucas, adolescent qui se pose des questions sur la vie, l'avenir, se demande ce qu'il a en commun avec cet homme qui remplit des carnets et fait les trois huit à l'usine. Et ce père qui n'a pas vu son fils grandir ("Un jour on jouait aux petites voitures, le lendemain il avait seize ans. Je me demandais où étaient passées toutes ces années", p. 13) et qui ne sait pas comment reprendre sa place, qui est vu comme un ours par son fils, car taiseux, enfermé dans sa bulle.

Souvent, on aborde l'adolescence comme la rupture de communication avec les parents. Ici Lucas ne souhaite pas couper le lien, mais au contraire recherche l'attention de son père.

Un roman court sur la relation père/adolescent qui aborde la place pesante des silences et le besoin de se retrouver.

Une deux trois / Dror Mishani

Une deux troisPar Prisca, bibliothèque Saint-Bruno de Grenoble
Le loup de Tel Aviv

Une, deux, trois malgré les apparences n'est pas le début d'une comptine pour enfant, il s'agit ici du titre du dernier polar de l'auteur israélien Dror Michani déjà best-seller en Allemagne et en Israël.

L'auteur délaisse dans ce dernier opus, son sympathique inspecteur Arraham Arraham pour un trio d'héroïnes : Orna, Emilia et Ella aux profils très différents, qui se débattent avec leurs difficultés matérielles et sentimentales. Plus qu'une histoire policière classique et procédurière, le roman dresse avec beaucoup de finesse le portrait de ces trois femmes au quotidien très différent : l'une est prof, l'autre auxiliaire de vie, et enfin la dernière a repris des études sur le tard.

Le titre original Shosh signifie trois en hébreu : trois parties, la voix de trois femmes qui ont comme seul point commun leur rencontre avec le même homme à Tel Aviv. Elles espèrent toutes que se sera pour le meilleur, mais ce sera peut-être pour le pire...

Dans ce roman à la fois social et thriller psychologique, Dror Mishani, l'étoile montante du polar israélien, peint par petites touches nuancées ces personnages féminins vulnérables en quête d'amour qui vont baisser la garde et ainsi devenir des proies faciles pour un esprit aussi dérangé que celui de Guil.

Pour son arrivée à la "Série Noire", l'auteur se réinvente avec ce triptyque psychologique bien écrit, bien traduit au suspens haletant.

Vango (Tome 1) - Entre ciel et terre / Timothée de Fombelle

VangoPar Estelle, bibliothèque de Saint-Martin-d'Hères
Une pépite !

On m’avait dépeint Vango comme un formidable roman d’aventures. Et c’est ce qu’il est !

L’histoire commence sur les chapeaux de roue, Vango se sent traqué depuis plusieurs années, et le voilà accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Nous suivons donc sa fuite qui ne manque pas de rebondissements, tout en remontant doucement le fil de son existence, en quête de son passé où se trouvent les réponses qui nous manquent. Vango nous fait ainsi voyager dans plusieurs pays d’Europe à la recherche de ses origines. En filigrane, la seconde partie des années trente, avec la montée des totalitarismes puis la seconde guerre mondiale qui s’intègre parfaitement au récit.

Cette série est tout simplement un bijou, à l’image des pommes de terre de Mademoiselle, ciselées en diamant à huit faces. L’auteur distille une foule de petits détails dans son intrigue et, avec une virtuosité folle, les fait s’entrecroiser dans des circonstances plus surprenantes les unes que les autres. Si le premier tome est entraînant, le second est juste époustouflant !

Une aventure à découvrir de toute urgence, dès 12/13 ans.

Manières d'être vivant / Baptiste Morizot

Manières d'être vivant Par Soumia, bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble

Une crise de la sensibilité

J’ai ouvert ce livre avec une certaine hantise, ayant peur de relire encore une fois un énième texte sur la prédiction imminente de la fin du monde. J’appréhendais une nouvelle confrontation avec les thèses collapsonautes que je trouve pour ma part démobilisatrices et paralysantes. L’heure est certes grave pour l’avenir du vivant mais peut-on exister sans la perspective d’un futur et peut-on se projeter sans la possibilité d’une réparation ?

Or, à ma grande surprise, j’ai trouvé ce livre réjouissant à plus d’un titre. Cet essai de philosophie environnementale a pour grand mérite de s’appuyer sur l’expérimentation et l’action sur le terrain. Il mêle observations pratiques et réflexions théoriques qui se nourrissent mutuellement. De cette méthode riche d’enseignements, Baptiste Morizot a produit des outils conceptuels dignes d’intérêts et salvateurs pour le vivant. Ces concepts ainsi développés sont des propositions pour sortir de l’anthropocentrisme et de ses effets délétères sur le climat et sur les conditions d’existence des autres espèces.

Selon Morizot, la crise environnementale actuelle aurait pour cause une crise de la sensibilité de l’homme à l’égard de la nature et du vivant. Cette crise remonte à loin dans le passé, elle serait induite par les phénomènes de sédentarisation et d’urbanisation qui ont coupé l’homme de son environnement et du reste du vivant. L’éloignement de l’homme des autres espèces l’a rendu indifférent à la multitude des formes de vie produites par l’évolution. La nature est devenue un décor, une entité abstraite, un espace à domestiquer, à dominer, à exploiter, un lieu où l’extraction aveugle des ressources a détérioré gravement les milieux de vie animale et végétale et qui par effet de retournement menace l’habitabilité de l’homme sur terre. La dualité entre culture et nature renforce encore ce phénomène en dévaluant toujours plus la seconde au profit de la première. Tout l’enjeu de ce livre est de défendre l’urgente nécessité de modifier les rapports de l’homme avec son environnement afin de le rendre attentif, respectueux et sensible aux autres manières d’être vivant.

A travers son observation des milieux naturels et des autres espèces et notamment sa pratique du pistage du loup dont il relate l’expérience à plusieurs reprises dans cet ouvrage, et qui donne lieu à des pages éblouissantes de beauté, de sensibilité et de poésie, Morizot développe l’idée séduisante selon laquelle la considération des autres espèces passe par la mise en œuvre d’une diplomatie inter espèces. Les enseignements du terrain révèlent une réalité riche et complexe qui plaide pour une interdépendance du vivant, condition ultime pour une vie plus harmonieuse du monde végétal et animal. Le droit à être des autres espèces vivantes rend l’homme comptable d’un nécessaire réajustement de ses comportements. Aiguiser sa sensibilité, se soucier et avoir des égards ajustés pour les myriades de formes de vie modelées par l’évolution, voilà une invitation à laquelle, il est urgent de se montrer réceptif.

Un très beau livre, vivifiant et stimulant, qui renouvelle le regard sur cette question brûlante.

Le Grand Vertige / Pierre Ducrozet

Le Grand VertigePar Soumia, bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble

Face à la terre qui se dérobe

Le personnage central de ce roman, Adam Thobias, est missionné pour piloter une commission internationale sur l’urgence climatique. Ce personnage reconnu comme grande sommité, à la fois scientifique et romancier, utilise cette mission factice comme couverture pour mettre en œuvre un projet dont la finalité demeure cachée et implique toute une myriade de personnage. Pour les besoins de ce projet, Adam Thobias crée un réseau intitulé Télémaque et s’entoure de plusieurs protagonistes auxquels il distribue rôles et tâches grassement payés.

Il y a tout d’abord Nathan Régnier microbiologiste et spécialiste de la vie des plantes, Thomas Groben virtuose de Google earth, June Demany jeune femme en déshérence, Mia Casal belle anthropologue et Arthur Bailly photographe alcoolique et marginal. Tous sont mis en mouvement par Adam Thobias et voyagent à travers la planète pour satisfaire des attentes très disparates mais qui obéissent à une logique dévoilée à la fin du récit. Pour chacun, Ducrozet brosse un portrait vivant et très incarné.

Tous donnent corps par le caractère romanesque de leur mission, à une épopée environnementale haletante où se mêle réalité et fiction, procédé narratif déjà utilisé par l’auteur dans son livre L’invention des corps, pour rendre encore plus saillant l’horreur écologique. La figure de June se détache de cette galerie de personnages, jeune femme tourmentée et en quête de sens, qui par sa jeunesse incarne la génération dont le futur est mis en péril par l’inaction et l’incurie des hommes. Sa rencontre avec Mia, désignée par Adam Thobias pour la retrouver et la convaincre de participer au réseau Télémaque, se transforme en relation d’amour à la fois très sensuelle et pleine d’humanité, dans un monde toujours plus en état de déliquescence.

Ce livre questionne l’action individuelle et collective face à l’enjeu colossal du saccage environnemental. L’immensité de la tâche peut-elle être à la mesure de simples citoyens juste armés de leur bonne volonté ? Est-ce que l’utopie est un remède ou la déception est-elle au bout du chemin ? La dimension prométhéenne d’une telle visée ne mène-t-elle pas à la folie ? Les meilleures intentions ne portent-elles pas en germe, si l’on y prend garde, une catastrophe encore plus grande ? Et ne serait-il pas déjà trop tard ? Telles sont les questions qui se dégagent pour moi à la lecture de ce roman dense et foisonnant de péripéties et de personnages. Contre toute attente au détour d’une page, Ducrozet se livre à un exposé brillant sur l’histoire du pétrole dont l’intérêt certain fait écho aux ravages géopolitiques et environnementaux dénoncés par le propos.

Un beau livre, riche, bien écrit, vivant, mais dont la construction peine à rendre compte de l’ambition.