x

Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 21

Femme tenant une liseuse
Image par Perfecto_Capucine de Pixabay

Estelle a apprécié les aventures de ces adolescents qui embarquent pour Mars pour fonder une famille. Prisca a été saisie par le récit autobiographique d'un internement à la demande d'un tiers en hôpital psychiatrique. Soumia nous partage sa découverte d'un récit foisonnant et monumental. Nadira a été bouleversée par deux histoires : celle de ce père qui élève seul ses deux fils et celle sur les conditions de vie de trois femmes au Sahel.

 

Phobos - Tome 1 / Victor Dixen

PhobosPar Estelle, bibliothèque de Saint Martin-d'Hères

En route pour Mars !

lls sont douze, ils sont à peine majeurs, et ils s'apprêtent à embarquer sur le Cupido pour faire connaissance et fonder un foyer sur Mars. A moins que les enjeux financiers et politiques de ce voyage ne les conduisent à une mort certaine…

Ce roman regorge d'ingrédients pour une intrigue haletante : de la téléréalité mâtinée de science-fiction, des amours naissantes, une menace grandissante qui créé le suspense… L'histoire est bien menée, l'auteur manie plusieurs points de vue pour nous livrer les informations petit à petit. Ce qui fait la différence dans ce roman, c'est tout ce qui se trouve derrière les paillettes, le fond politique de l'histoire, avec une lutte impitoyable pour le pouvoir. Les personnages sont attachants, bien qu'ils soient stéréotypés.

Malgré une romance un peu rapide, on se laisse prendre au jeu et la fin nous laisse sur l'envie pressante de connaître la suite de l'histoire ! Les adolescents à partir de 14 ans devraient adorer cette série.

Le fumoir / Marius Jauffret

Le fumoirPar Prisca, bibliothèque Saint-Bruno de Grenoble

18 jours en enfer

Marius Jauffret (fils de l'écrivain Régis Jauffret) a 25 ans lorsqu'il est interné à la demande d'un tiers comme 90 000 personnes chaque année en France. Dans cette autobiographie, l'auteur fait le récit poignant et sans concession de sa terrible expérience de privation de liberté dans un hôpital psychiatrique du 13e arrondissement de Paris. La faute à son alcoolisme, la faute à son frère dépassé qui va signer les papiers de son internement, la faute aux psychiatres de Sainte-Anne qui lui diagnostiquent le syndrome de Korsakoff comme on diagnostique un simple rhume. S'en suivent 18 jours d'hospitalisation où vont se mêler chez l'auteur sentiments d'injustice, de peur, de ressentiment, de colère et d'angoisse.

Le fumoir de l'asile est un lieu essentiel de l'hôpital où les patients se rencontrent, se racontent, partagent des bribes de vies et d'expériences. Ces échanges sont à la fois cocasses, tristes et parfois tendres. La violence de l'institution psychiatrique y est décrite dans ce qu'elle a de plus arbitraire et déshumanisante avec un humour désarmant et caustique.

Marius Jauffret nous livre ici un récit fort, bien écrit, de ce séjour enfumé qui nous attrape par les tripes et se lit d'une traite.

L'or du temps / François Sureau

 L'or du tempsPar Soumia, bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble

Un voyage temporel

Difficile de parler de ce livre, de le qualifier. C’est un récit monumental de plus de 800 pages, une épopée mémorielle, une narration fleuve qui prend comme point de départ la Seine.

Au début du récit, le narrateur longe en imagination les rives de la Seine de son embouchure jusqu’à Paris. Au gré de ses pérégrinations, certains lieux et certains personnages de l’histoire littéraire, politique, militaires et religieuse de la France prennent forme, ressuscitent. Sa plume foisonnante de détails, d’anecdotes et d’érudition brosse le portrait d’une France aux multiples facettes, mais une France révolue.

On comprend à la lecture de ce livre que cette France plurielle a nourri l’imagination de l’auteur, que cette diversité est constitutive de son univers mental. Et en effet, dans cette galerie de portraits que François Sureau déroule au fil de ces nombreuses pages, on croise des écrivains tels Breton, Apollinaire, mais aussi des généraux comme Mangin, des administrateurs et gouverneurs comme Lyautey. L’attachement de Sureau pour ces grandes figures est palpable. Ancien militaire, ancien membre du conseil d’Etat, amoureux des lettres, ardent défenseur des libertés, c’est un peu de lui dont il parle à travers l’évocation de ces hommes.

Ce livre est aussi un voyage méditatif à la fois temporel, géographique, culturel et spirituel à l’image de l’homme de foi qu’est François Sureau où l’on rencontre Pascal et le jansénisme, Saint-François d’Assise et Ignace de Loyola, où des évènements historiques se succèdent empruntant une chronologie à contre-courant, à la faveur d’un récit en arborescence. Ainsi passe-t-on de la crue de la Seine en 1910, puis de l’incendie du grand bazar de la Charité en 1897 à celui du Crédit Lyonnais environ un siècle plus tard en 1996. Outre ces évènements, qui selon Sureau parlent des transformations de la France à un siècle d’écart, le lecteur est surpris de découvrir une biographie de Simenon et une longue réflexion sur le régime politique de la France à travers la figure de Babar.

Ce récit protéiforme est une quête : la volonté de saisir la précieuse substance du temps par le truchement de ce qui sédimente une culture, tous ces alluvions de grandes et petites histoires que charrient les années et qui constituent une nation. A l’instar de Breton, Sureau veut s’approprier l’or du temps, cette matière fuyante et inestimable que le chef de file du surréalisme a choisie pour épitaphe : "Je cherche l’or du temps", est-il inscrit sur sa tombe.

Livre stupéfiant d’érudition, éblouissant d’intelligence, instructif mais parfois indigeste par sa profusion et ses multiples références. Idéal pour une lecture au long cours et discontinue. Deux index en fin de volume, un index des noms et un autre des lieux se prêtent à une lecture entrecoupée et buissonnante. Une belle découverte !

Les impatientes - Prix Goncourt des lycéens 2020 / Djaïli Amadou Amal

Les impatientesPar Nadira, bibliothèque Teisseire-Malherbe de Grenoble

"Munyal defan hayre", la patience cuit la pierre. Proverbe peul

En ouvrant les pages de ce livre, nous allons à la rencontre de trois femmes, Ramla, Hindou, Safira. Trois destinées brisées, trois ambitions, trois rêves définitivement empêchés. Dans cette société patriarcale, ces jeunes femmes voient leurs rêves happés en plein envol par les hommes de la famille, décideurs de leur futur. Aucune place n’est permise pour leur avis, aucune possibilité de refuser des choix faits pour elles, à leur place et à leur insu. Mais Munyal !! Patience !! C'est la réponse faite à toutes les filles, à toutes les femmes.

Le père d’Hindou, à peine dix-sept ans, décide de la donner en mariage à son cousin Moubarak, jeune homme instable, violent et immature. Solution facile pour le ramener dans le droit chemin et sauver l’honneur. La jeune femme va vivre une maltraitance qui va la pousser à l’extrême, ne pouvant attendre aucun soutien de sa famille dont la seule réponse à ses appels au secours est « Munyal : patience ! »

Sa demi-sœur Ramla, même âge, va subir le même sort. Jeune femme instruite et ambitionnant de faire des études, elle est déjà fiancée à Aminou, dont elle est amoureuse. Mais il n y a pas de place à l’amour quand les intérêts des chefs de familles sont en jeu. La voilà donc cédée à un homme de plus de cinquante ans, déjà marié et père de nombreux enfants. Sa coépouse, Safira, à laquelle Ramla doit respect et obéissance, et qui souffre de l'union de son époux avec cette belle jeune femme, va tout faire pour se débarrasser de cette rivale et récupérer ses privilèges. Ramla, délaissée par sa famille, vivant un calvaire, souffrant dans sa chair et dans son âme dans cette prison dorée, va devoir se prendre en main pour ne pas sombrer. Mais Munyal !! Patience !!

Avec une plume des plus prometteuses, Djaïli Amadou Amal nous offre là un récit magistral sur les conditions de vie de femmes au Sahel à travers mariages forcés, violence conjugale physique et psychologique, viol, soumission et polygamie.

L'auteur a reçu le prix de la meilleure auteure africaine et le prix Orange en Afrique 2019. Elle est également récipiendaire du Goncourt des lycéens 2020.

Ce qu'il faut de nuit  - Prix Femina des lycéens 2020 / Laurent Petitmangin

Ce qu'il faut de nuitPar Nadira, bibliothèque Teisseire-Malherbe de Grenoble

Trois hommes face à leur destinée

Nous sommes en Lorraine. Voilà le narrateur, le père. La « moman » emportée par une longue maladie, le laisse seul avec ses deux fils : Frédéric – que tout le monde avait décidé d'appeler Fus comme ça à cause du fussball – et Gillou. Malgré la douleur de l’absence, le désarroi, il va tout faire pour gérer ce bouleversement de la vie familiale. Garder le lien, maintenir les habitudes, les rituels de la vie de tous les jours. Tenir, faire comme avant, continuer à vivre, même si l’avant est définitivement derrière.

Le père est cheminot, syndiqué, engagé à gauche. Le plus jeune fils est prometteur, il veut poursuivre des études supérieures. Fus et son père sont là pour lui, fiers, se serrent les coudes, se sacrifient pour son avenir. Mais voilà que Fus se met à fréquenter des groupes d’extrême droite, à dévier du droit chemin tracé, balisé par le paternel. Celui-ci se sent trahi, blessé, bousculé dans ses certitudes, ses valeurs. Jusqu’au drame qui voit son amour de père dominer tous ses ressentiments pour soutenir le fils, Fus.

Ce texte court, dense, d’une écriture belle et sobre, est un condensé d’émotions intenses. Il rappelle, si besoin est, la force de l’amour mais aussi la complexité des liens familiaux. Bouleversant !