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Domination culturelle
« Le féminisme, sans lutte des classes, c’est du développement personnel. » Ce slogan piqué dans « Ascendant beauf » de l’autrice féministe Rose Lamy me plait comme son livre : c’est bien vu, ça vise juste et ça dit bien des choses. Même s’il y aurait à redire ici ou là. Mais, justement, pourquoi toujours chercher la petite bête : cette réhabilitation des « beaufs », des « rednecks », en un mot : des pauvres, voilà un sacré rappel à l’ordre. Et notamment pour nous, petits bibliothécaires, gardiens du temple de la Culture Certifiée (avec un double C majuscule), creusant inlassablement notre petit terrier d’entre soi. Oui les pauvres ont mauvais goût : ils regardent la télé, ils n’aiment pas le théâtre (comment leur reprocher, hu hu), et quand ils écoutent de la musique, c’est du Joe Dassin. Sans parler des livres et des films qu’ils s’envoient. Entre nous, on ne les voit pas beaucoup au Méliès, n’est-ce pas ? Et « la gauche » (cela veut-il dire encore quelque chose ?) se moque des pauvres. Comme le souligne cet exemple édifiant : dans une chronique sur France Inter un (une ?) humoriste se paye Bardella parce qu’il pourrait être notre premier Président de la République à s’appeler Jordan. Et pourquoi pas Kévin ou Kimberley ? Et oui, pourquoi pas nous demande Rose Lamy ? N’y avait-il pas d’autres angles d’attaques sur monsieur Bardella que son prénom de « beauf » ? Bien vu. D’autant plus que je crois que ce sketch, si je l’avais écouté, c'eût été bien possible qu’il m’eût fait rire (Et bim, l’air de rien, un double subjonctif plus-que-parfait de dominant culturel). Etonnons-nous après que les pauvres votent comme des sagouins. Les vilains. A partir de là, il y aurait à discuter un peu quand même. Car ce petit livre bourdieusien oublie que la « médiocrité », si elle touche (ô combien !) toutes les classes de la société, elle borde malgré tout le lit du pire. Et ce n’est pas notre époque « tik-tok » qui me contredira. Rose Lamy esquive peut-être « les impasses de la culture populaire » telle qu’on la subit depuis que le capitalisme est le capitalisme. Et que si rien ni personne ne tire un peu vers le haut, ou plutôt disons vers l’ailleurs, alors, pour reprendre l’expression de l’essayiste anglais Mark Fisher, comment porter « un élan prolétarien global à être DAVANTAGE » ? Eh bien voilà une mission en laquelle nous devons continuer de croire, nous bibliothécaires. Non ? Mais ne boudons pas notre plaisir : ce coup de gueule de Rose Lamy est plus que salutaire. Car ce qui accompagne souvent le male-gaze, tous les racismes et d’autres joyeusetés, c’est bien la haine des pauvres.
Christophe LEFEBVRE - Le 28 mai 2025 à 15:53