Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 33

Ester s'est laissée envouter par un conte sombre aux accents mélancoliques. Christophe nous partage son avis enthousiaste pour un livre cauchemardesque et drôle. Nadira a été conquise par ce roman, véritable ode à la vie et à l'amour. Justine a été touchée par ce roman graphique qui évoque le deuil. Aude nous recommande la lecture de ce recueil de nouvelles sur des moments de vie. Elodie a aimé ce conte intime racontant le peuple tzigane.

Les Filles de Monroe / Antoine Volodine

Par Christophe, bibliothèque de Varces

Cours Camarade, les zombies sont derrière toi !

Futur. Dans un "vastissime" asile psychiatrique aux limites floues et sombres, sous un déluge permanent, se terre ce qui semble rester de l’humanité. Cette microsociété, sous la coupe du "Parti", perpétue le souvenir radieux et parano des Unions Soviétiques passées. Radieux ? Pas si sûr. Parano par contre, ils n’ont peut-être pas tort… La frontière entre le monde des vivants et celui des morts est devenue bien poreuse et ces derniers ont visiblement de très bonnes raisons d’être rancuniers.

Monroe, éliminé dans une des nombreuses purges du Parti, a décidé d’envoyer depuis l’Au-delà quelques filles surarmées et surentrainées – et aussi un peu grossières, mâtin ! quel langage ! – histoire d’aller raser tout ce qui ressemble de près ou de loin à un autocrate. La guerre est déclarée.

Face à la menace, Breton et son ami très schizo semblent les mieux équipés. Ils sont alors réquisitionnés sous la torture. Faut ce qui faut. Strummheim, Kaytel, le chamane Borgmeister ou encore Dame Patmos : tous les sbires du Comité Central s’agitent, se méfient, se trahissent. Vent de panique.

J’ai retrouvé avec énormément de plaisir la folie "post-exotique" d’Antoine Volodine, hydre littéraire inclassable. On reconnaît bien dans cet univers tarkovskien l’intérêt de l’auteur pour les grands échecs révolutionnaires du XXème siècle et leur folie génocidaire. Mais Les filles de Monroe nous renvoie également à la figure la vacuité et la dinguerie de nos petites ambitions sociétales et politiques contemporaines. Tout notre tralala semble au pire glaçant, au mieux risible. Pour preuve – comme une queue de comète à ce roman – cette liste en annexe des "343 fractions du Parti au temps de sa gloire". Un régal de fatuité, Camarade.

Livre cauchemardesque mais tellement drôle, Les filles de Monroe prouve à nouveau qu’Antoine Volodine ne joue pas dans la même cour de récré que ses petits camarades de la Rentrée littéraire. Ça fait un bien fou de lire autre chose.

Seule en sa demeure / Cécile Coulon

Par Ester, bibliothèque d'Echirolles

Remparts et silences

Un roman de Cécile Coulon, j'avoue, ne se refuse pas ! Après Une bête au Paradis publié en 2019 et véritable coup de cœur, Seule en sa demeure, c'est une nouvelle invitation à s'immerger dans l'imaginaire enchanteur propre à cette auteure.

XIXème siècle, dans une région rurale de France, domaine Delville. Aimée mène une vie protégée et paisible entourée en particulier de son père Armand et de son cousin Claude qui est pour la jeune femme un modèle et un ami inséparable. Aimée est en âge de se marier et lorsque son père la propose au jeune veuf Candre Marchère, "un père ne choisit pas un mari pour sa fille, mais la détourne des âmes sombres de ce monde", elle est saisie d'appréhension mais aussi de curiosité pour cette nouvelle vie qui va s'offrir à elle.

Construit en deux parties, "le cœur" et "le ventre", ce récit à l’atmosphère nervalienne est un conte sombre, parfois presque un huis clos, subtilement amené par une écriture qui susurre plus qu'elle ne dévoile. Tous les personnages autour du couple Candre/Aimée ont une vraie épaisseur narrative et une dimension dramatique intéressante : Henria, Angelin et Aleth, ou Éméline et Claude tous contribueront à révéler en contrejour l'inéluctable destin de la jeune mariée. Un dernier mot sur la forêt, véritable totem pour Céline Coulon, elle se révèle être un personnage à part entière, cœur et ventre à la fois, protectrice ou menaçante, elle est l'intranquillité diffuse dans les brumes et la beauté féroce de ses paysages.

Un roman réussi, d'une lecture agréable, dont l'écriture, teintée d'une poésie mélancolique, nous fait assurément du bien !

L'Ode au chou sauté / Areno Inoue

Par Nadira, bibliothèque Teisseire-Malherbe de Grenoble

Cuisine, pansement des peines

Dans un quartier de la banlieue de Tokyo,au Japon, Kôko, Matsuko et Ikuko ,trois femmes, s’occupent d’un petit restaurant. Unies par leur passion pour la cuisine, elles y concoctent avec passion et amour des plats traditionnels et familiaux qui séduisent leurs clients. Mais ces derniers sont loin d’imaginer que, derrière l’empathie, la dignité et le sourire de ces charmantes soixantenaires, se cache une vie faite de drames, de déceptions, de souffrances et de grande solitude.

Les moments de préparations des plats, le choix des ingrédients sont autant d’occasions pour chacune d’entre elles de se replonger dans son passé, de revivre ses faces enfouies et de s’interroger sur le sens de la vie.

Loin d'être triste malgré le parcours de ces trois femmes, cette histoire est un véritable hymne à la vie et à l'amour. Elle n'est pas sans nous rappeler Les délices de Tokyo de Durian Sukegawa par son approche tout en finesse.

In waves / AJ Dungo

Par Justine, bibliothèque de Saint-Martin-d'Hères

Dans les vagues de la mélancolie

Ne vous fiez pas à ses couleurs pastels et à la douceur de sa couverture, In Waves est un roman graphique beau et triste qui parle de la perte d'un être cher, de la traversée du deuil. L'auteur écrit et dessine pour partager sa relation avec Kristen, jeune femme malade du cancer avec qui il partage une passion pour le surf.

Un récit intime, délicat et tragique, mais aussi un hymne au surf.

Les orages / Sylvain Prudhomme

Par Aude, bibliothèque de Saint-Egrève

Pluie de beauté

 L'écriture de nouvelles est un exercice littéraire difficile. Sylvain Prudhomme nous livre ici un recueil infiniment travaillé, et vraiment de toute beauté. Chaque récit est très différent : la belle Awa qui rêve d'ouvrir son salon ; un grand-père qui taille sa haie ; un homme qui voit son nom sur une pierre tombale ; des voisins bruyants...

Histoires de petits et grands, malheurs et bonheurs, histoires de simples instants, mais surtout histoires de VIES. Une superbe lecture.

Avant que le monde ne se ferme / Alain Mascaro

Par Elodie, bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble

A la rencontre des Fils du Vent

Anton est tzigane, il parle aux chevaux, mieux il les comprend sans même avoir recours aux mots. Anton est kirghize et vit donc entre Europe et Asie, dans un cirque. Anton est né peu après la Première Guerre Mondiale et son mode de vie nomade va bientôt être empêché par l’Histoire. Son clan de jongleurs, trapézistes et dompteurs vole en éclats mais toujours Anton poursuit sa route, se nourrit de rencontres et de son amour des chevaux.

Premier roman utilisant tous les codes du conte, ce récit intime est également celui du peuple tzigane quand il était encore au plus proche de la nature et surtout des chevaux. Le récit est parsemé de morts, celles de la barbarie nazie en premier lieu, mais il est optimiste, poétique et nous invite au voyage.