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Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 22

Femme tenant une liseuse
Image par Perfecto_Capucine de Pixabay

Ester a été conquise par ce roman à quatre voix qui plonge dans la vie de quatre amis qui se croisent au cours d'une nuit. Amélie nous recommande la lecture de ce livre écrit en hommage aux chevaux qui ont partagé la vie de Bartabas. Christophe a dévoré le portait de cette jeune femme à la vie et à la personnalité qualifiée de borderline, et, il a été happé par le récit des dernières vacances d'un jeune garçon juif, à l'été 1938. Nadira s'est laissée emporter par cet écrivain qui cherche l'inspiration en s'introduisant auprès d'une famille inconnue. Prisca a aimé suivre les aventures de cette femme à la recherche de l'amour après un divorce.

Ohio - Grand prix de littérature américaine 2020 / Stephen Markley

OhioPar Ester, bibliothèque d'Echirolles

Éclats et poussières de vies

Une poignée d’anciens amis désormais trentenaires, se retrouvent dans leur ville natal "New Canaan", Ohio, convoqués par leurs souvenirs, leurs démons et la mort au combat de l'un d'entre eux.

Par un mystérieux hasard (mais le hasard existe-t-il ?) Bill Ashcraft, Dan Eaton, Stacey Moore et Tina Ross, se croisent au cœur d'une nuit interminable, une nuit qui deviendra le point catalyseur de leurs jeunes vies et qui débouchera sur un dénouement digne d'un thriller. Chacun à sa façon va revivre ses années d'adolescence, cette période fondatrice de tout un chacun où, si tout semble acquis, rien ne perdure. En quatre chapitres et un prologue génial, le lecteur reconstruit page après page un puzzle d'évènements disparates et finit par comprendre ce qui les relie inextricablement à leur passé commun.

Un roman polyphonique où les protagonistes confient espoirs, amours, désillusions, rages et peurs. L’histoire aussi d’une génération de l’Amérique profonde qui a connu la terreur du 11 septembre, la guerre d’Irak, la précarité, survenue avec la crise des subprimes et son inéluctable récession.

Ohio est un roman qui vous prend aux tripes par la violence des destins et par la réflexion subtile et lumineuse de la société occidentale où il semble ne plus y avoir de place pour la légèreté. Magistral !

D'un cheval l'autre / Bartabas

D'un cheval à l'autrePar Amélie, bibliothèque de Vif

Pour Zingaro et les autres

Un livre hommage sur les équidés qui ont croisé le chemin de Bartabas. Ces chevaux, parfois sauvés d'un destin funeste, dévalorisés, qui ont brillé sur scène et raconté des histoires. On comprend la passion de Bartabas pour les chevaux, les liens qui les unissent (ou les unissaient, pour ceux qui sont partis, comme le célèbre et magnifique Zingaro, qui a donné son nom à la troupe), le respect qu'il a pour eux, cette facilité à "parler" avec eux alors qu'il est avare de mots avec ses semblables.

Nul besoin d'être amoureux des chevaux pour lire ce livre. En revanche, si comme moi vous les aimez avec passion, la lecture ne sera pas la même. La rencontre avec chaque cheval, le travail, la communication, tout cela est décrit tellement précisément qu'on vit ce qui est écrit.

Se pose immanquablement la question des spectacles utilisant des animaux : chacun est libre d'adhérer ou non.

Mon père et ma mère - Prix Les Inrockuptibles Roman étranger 2020 / Aharon Appelfeld

Mon père et ma mèrePar Christophe, bibliothèque municipale de Varces

Avant l'effondrement

Mon père et ma mère d’Aharon Appelfeld revient sur les dernières vacances familiales du petit garçon qu’il fut lors de l’été 1938. Parmi une petite communauté juive inquiète et disparate, l’enfant se retrouve avec ses parents chaque année sur les rives paisibles du Pruth en Bucovine.

Entre les activités balnéaires et les randonnées équestres, la nonchalance apparente se heurte non seulement aux rumeurs d’une nouvelle guerre mais également à l’agressivité crâne des paysans du cru – les deux menaces semblant s’accorder sur l’éternel et bien commode antisémitisme des frustrations haineuses de la vieille Europe.

Ce livre est une merveille.

Il est sidérant de lire à quel point Aharon Appelfeld réussit parfaitement, à travers sa galerie de personnages – qu’on dirait tout droit sortie d’un film de Fellini – et leurs divergences de points de vue sur la menace qui les atteint jusque sur leur lieu de villégiature, à dessiner en creux cet abîme qui les engloutira.

Bien sûr, le narrateur et le lecteur savent. Mais ce n’est pas tant l’enjeu ici. La force de ce roman réside dans l’emprise diffuse de cette atmosphère d’effondrement sur le petit garçon à travers ce qu’il flaire des attitudes, gestes, silences ou paroles de son père et de sa mère.

Inexorablement, les adultes à leur tour doivent aussi s’inventer des figures parentales rassurantes. Ainsi, une fois le bon docteur Zeiger rentré chez lui, c’est sous les auspices de la voyante Rosa Klein que certains opportunistes essaieront d’apaiser leur affolement. Ils y croient comme ils peuvent.

Comme une alternative à l'angoisse, une tante du jeune Erwin s’isole, en attendant, dans une petite isba, cultive trois légumes, deux oignons, se baigne et lit Proust, Flaubert et Thomas Mann.

Il y a en effet un peu de la Montagne Magique dans ce livre au temps long et incertain, versant implacablement ses protagonistes vers une guerre dont ils ne peuvent imaginer le déchaînement.

Et je pense un peu glacé à ce qu’aurait répondu Billy Wilder à des journalistes : "Vous avez les optimistes et les pessimistes. Les premiers sont morts dans les chambres à gaz. Les autres ont des piscines à Beverly-Hills."

Calamity Gwenn / François Beaune

Calamity GwennPar Christophe, bibliothèque municipale de Varces

Portrait d'une jeune fille en feu

 Gwenn, la trentaine, est vendeuse à Pigalle dans un sex-shop. Elle est toute jolie, sa langue est, comme on dit, bien pendue comme il se doit pour la Marseillaise qu’elle est (en vrai, elle est d’Istres, mais chut, ne le répétez pas, elle trouve ça moins exotique).

Sa vie ressemble à ce que des psys diraient de sa personnalité : borderline. Conquêtes d’un soir, grand amour d’une semaine, féminisme enragé, clients limite-limite et Isabelle Huppert l’idole de toujours. Tout l’anime et tout l’inquiète. Elle voudrait être actrice, mais en attendant elle pose nue pour quelques aquarellistes. Son rapport aux stupéfiants commence à lui poser question. Mais bon. Les jours et les mois se suivent et le Grand Soir, celui d’un monde sans mec frustré, violent, violeur ou ne serait-ce que lourdingue, se confond avec l’horizon : elle le voit, elle croit s’en approcher, et rien à faire, il reste inaccessible. Gwenn est un peu fatiguée.

Ce livre rassemble treize mois de son journal intime. De "sextembre" à "s’entendre", car les mois ont ici des noms à la Boris Vian ("opprobre", "navrante", "décevembre", "janveux", etc.)

Avec Calamity Gwenn, François Beaune prend très au sérieux son rôle d’écrivain en jonglant avec la fiction, le récit et ce jeu de rôle qui consiste à se fondre littéralement dans la peau de son personnage. Car l’idée de cette blondie intensément attachante, puissamment réelle dans notre cœur et notre esprit, a pour origine une véritable amie de l’auteur.

Alors bravo à lui. Aucune couture ne dépasse de ce livre, pourtant très casse-tronche par son côté ultra contemporain, limite tendance. Pas une punchline de trop, aucun décor en carton, zéro personnage factice. Un travail d’orfèvre.

Et alors, la lippe pendante et humide de cet oubli de tout que génère la lecture d’un texte parfaitement authentique, je vous prie de me croire quand j’écris ceci : j’ai littéralement dévoré Calamity Gwenn – comme il est souvent galvaudé de le revendiquer.

Gwenn, t’es un miracle, t’es ma copine.

La famille Martin / David Foenkinos

La famille Martin Par Nadira, bibliothèque Teisseire-Malherbe de Grenoble

Un écrivain en manque d'inspiration

 

 Écrivain en panne d’inspiration pour l’écriture de son nouveau roman, le narrateur, (l’auteur lui-même ?) décide de descendre dans la rue et d’interroger sur sa vie, la première personne rencontrée. Il a quand même l’espoir d’apostropher la jeune femme, qu'il a souvent repérée en bas de chez lui, fumant sa cigarette.

Mais le voilà qui croise Madeleine, une nonagénaire qui rentre de ses courses. Il l’aborde en lui expliquant son projet et, à sa grande surprise, elle l’invite chez elle. Autour d’une tasse de thé, Madeleine accepte de lui narrer son existence. Elle lui racontera son passé et sa grande passion amoureuse, à la condition qu’il fasse la même démarche auprès de sa fille, Valérie. Cette dernière, après un moment de suspicion, l'introduit dans sa famille "Martin" et le présente à son mari, Patrick et à ses deux adolescents, Jérémy et Lola.

Le narrateur va découvrir le quotidien d’une famille ordinaire, apparemment heureuse. En réalité, le couple s’essouffle. Patrick cache ses problèmes professionnels à Valérie qui envisage de le quitter. Lola et Jérémy, en pleine crise existentielle, n’arrivent pas à communiquer avec leurs parents. L’irruption du narrateur dans l’intimité de ce couple et des ses enfants va faire voler en éclats les faux-semblants et les mettre face à la réalité.

Avec humour et légèreté mais aussi avec délicatesse, parfois à travers des scènes cocasses, des quiproquos à la limite du vraisemblable, David Foenkinos signe là un roman inédit, très diffèrent des précédents. La fiction se confond avec la réalité et le narrateur avec l’auteur.

Un exercice littéraire intéressant et un texte emprunt d'une auto-dérision qui fait du bien.

Le coeur synthétique - Prix Médicis 2020 / Chloé Delaume

Le coeur synthétiquePar Prisca, bibliothèque Saint-Bruno de Grenoble
Poser mon cœur bancal dans ton bocal...

Adélaïde est une femme comme une autre qui vient de divorcer après de longues années de vie conjugale. Elle n'a jamais connu la solitude, car depuis qu'elle est en âge d'avoir des amoureux, elle vogue de bras en bras au gré des ses envies. Seulement voilà pas facile de retrouver l'âme sœur quand on a 46 ans, une vie professionnelle bien remplie (elle travaille dans une maison d'édition en vogue), pas mal de ventre et que l'idée de se remarier vire à l'obsession.

On suit avec grand plaisir les pérégrinations sentimentales et amicales d'Adélaïde dans ce roman qui est sans doute le plus accessible de Chloé Delaume.

Le cœur synthétique, qui a valu le prix Médicis 2020 à son auteur, est un conte pop à la fois cruel et drôle, qui se décline en chansons bientôt réunies dans un album à paraître.